Je ne sais toujours pas pourquoi je l’ai fait.
Ce jour-là, je n’étais même pas censée être au cimetière. J’étais venue accompagner ma tante qui voulait se recueillir sur la tombe de son mari. Mais pendant qu’elle parlait doucement à son défunt, je me suis éloignée, poussée par une curieuse sensation — un mélange d’ennui, d’instinct… ou peut-être de quelque chose d’autre.

Au fond de l’allée, près du vieux mur envahi de mousse, j’ai vu une pierre tombale complètement envahie par les herbes, à moitié enfouie sous la terre et les feuilles mortes. Aucune fleur, aucune trace de visite. Juste un nom presque effacé par le temps : Élise V., morte en 1911. Aucune date de naissance. Aucun détail.
Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai commencé à dégager les feuilles, nettoyer les lettres avec ma manche, redresser un peu la pierre penchée. Il y avait quelque chose de profondément triste dans l’oubli total de cette sépulture. Comme si quelqu’un avait attendu, depuis plus d’un siècle, que quelqu’un vienne simplement… voir.
Je n’ai rien dit à ma tante. En partant, j’ai lancé un dernier regard vers la tombe désormais un peu plus propre. Une brise a soufflé, légère. Et j’ai cru entendre — ou imaginer — un soupir.
Le lendemain matin, tout a changé.
Je me suis réveillée au son d’un bruit étrange. Un froissement, comme du papier qu’on déchire doucement. En ouvrant les yeux, je l’ai vue. Une rose. Déposée sur ma table de nuit. Rouge foncé, fraîche, avec de la terre encore humide à la base. Je vis seule. Je n’achète jamais de fleurs. Je n’ai laissé personne entrer.
Je l’ai prise entre mes doigts, tremblante. En dessous, un petit morceau de papier, replié en deux. Sur le papier, une écriture ancienne, fine, comme tracée à la plume :
« Merci. »
J’ai lâché le papier. Mon cœur battait si fort que j’avais du mal à respirer. Mon premier réflexe a été de chercher une explication rationnelle : une blague, une hallucination, un rêve encore flou. Mais la rose était bien réelle. Et l’odeur de la terre fraîche aussi.
Toute la journée, j’ai senti une présence. Un courant d’air froid dans des pièces fermées. Des ombres au bord de mon champ de vision. Un sentiment d’observation, mais pas hostile. Plutôt… reconnaissant.
Ce soir-là, j’ai rêvé d’elle. D’Élise. Une jeune femme en robe noire, debout près de sa tombe. Elle me regardait, les larmes aux yeux, et murmurait encore et encore :
« Tu m’as réveillée… tu m’as ramenée… »
Je me suis réveillée en sursaut. Mon miroir était couvert de buée. Et dans la buée, une phrase écrite du bout du doigt :
« Ne me laisse plus seule. »
Depuis ce jour, je retourne chaque semaine à cette tombe. Je lui parle. Je lui apporte des fleurs. Et depuis, rien d’étrange ne s’est reproduit.
Mais parfois, la nuit, je rêve de cimetière, de pluie douce et de pas discrets sur les pierres humides. Et je sais qu’Élise m’écoute.
Et je sais qu’en la nettoyant, ce jour-là, je n’ai pas simplement redonné vie à une pierre… mais à une mémoire qui refusait d’être oubliée.