Dans une petite clairière, bordée de chênes centenaires et de silence doré, vivait une jeune lapine blanche nommée Églantine. Elle n’avait rien d’extraordinaire : ni grande, ni rapide, ni particulièrement futée. Mais elle possédait une qualité que peu d’animaux gardaient intacte : la curiosité douce et sincère.
Un matin de fin d’été, alors que la rosée brillait encore sur les feuilles et que les merles n’avaient pas fini leur premier chant, Églantine fit une découverte étrange au pied d’un vieux noisetier :
Un portefeuille.

Pas un de ceux faits d’écorce ou de feuilles, comme certains animaux inventifs pouvaient en fabriquer. Non — un véritable portefeuille humain, en cuir noir, un peu râpé sur les bords, mais encore bien fermé.
La lapine, intriguée, s’en approcha à petits bonds, le museau frémissant. Elle n’avait jamais vu un objet pareil. Personne dans la forêt ne l’avait jamais vu non plus. Elle le renifla, le poussa avec sa patte. Rien ne bougea.
Puis, en prenant une impulsion maladroite, elle parvint à l’ouvrir.
À l’intérieur : des billets, des pièces métalliques, une carte avec une photo d’un homme sérieux et une note manuscrite sur un petit bout de papier froissé :
« Ce qui compte n’est pas ce que tu possèdes, mais ce que tu en fais. »
La lapine ne comprenait pas la langue humaine, mais elle sentait l’importance de cette découverte. Le cuir sentait le monde d’ailleurs, celui des routes droites et du bruit constant. Elle savait que ce portefeuille n’appartenait pas à la forêt.
Alors elle le montra.
D’abord au vieux blaireau, qui fronça les sourcils et marmonna que c’était sûrement « une ruse des renards ».
Puis à la chouette, qui déclara, avec l’air très savant, que c’était un « objet de pouvoir, assurément ».
Enfin, à la corneille, qui tenta immédiatement de voler les pièces pour les cacher dans son nid.
Églantine se sentit dépassée. Que faire d’un objet qui attise la convoitise et la méfiance, simplement parce qu’il est… plein de quelque chose que personne ne comprend vraiment ?
Alors, au lieu de le garder, de le cacher ou de le jeter, Églantine prit une décision différente.
Elle traîna le portefeuille, avec peine, jusqu’au bord du chemin que les humains empruntaient parfois.
Puis elle s’assit, en silence, et attendit.
Un homme finit par passer. Il s’arrêta net en voyant le portefeuille à terre, presque intact. Il le ramassa, l’ouvrit, lut la note qu’il avait lui-même oubliée y avoir mise, et — pendant quelques secondes — sourit tristement.
Ses yeux rencontrèrent ceux de la lapine. Ils restèrent là, à se regarder, en silence.
Puis il s’agenouilla, sortit une carotte de son sac, la déposa doucement à ses pattes, et murmura :
« Merci. Tu m’as rappelé ce que j’avais perdu. »
La lapine retourna dans la forêt, le cœur léger.
Elle ne comprenait toujours pas ce qu’était l’argent, ni pourquoi un objet aussi petit pouvait troubler autant d’esprits.
Mais elle savait qu’en rendant ce portefeuille, elle avait fait quelque chose de juste.
Et dans le vent de cette fin de matinée, porté entre les feuilles, résonnait doucement ce message :
Ce qui compte n’est pas ce que tu possèdes… mais ce que tu en fais.