Il était 3h42 du matin quand l’agent de permanence du commissariat de Saint-Laurent-sur-Roche reçut l’appel. Une voix fluette, à peine audible, presque un souffle :

« Mon papa… est sous le sol. »
Le numéro était local. Une ligne fixe. L’adresse associée : 13, rue des Glycines, une vieille bâtisse à l’écart du village, entourée de champs et d’arbres sombres. Un endroit dont on disait qu’il n’était plus habité depuis le confinement.
Quand l’opérateur demanda qui parlait, la réponse vint à peine :
« Camille. J’ai huit ans. »
Puis… le silence.
Une maison sans bruit
Lorsque les deux policiers arrivèrent sur place, tout était calme. Trop calme. La maison semblait abandonnée. Aucune lumière, aucune voiture. Juste une porte entrouverte qui grinçait sous le vent nocturne.
À l’intérieur : le vide.
Pas de meubles. Pas de bruit.
Et pourtant, dans l’ancien salon aux murs fissurés et au parquet usé, se tenait une petite fille.
Seule.
Elle portait une robe blanche, trop fine pour la saison, ses pieds nus posés sur le bois froid.
Elle ne pleurait pas.
Elle ne bougeait pas.
Elle dit seulement, en regardant le sol :
« Il est là-dessous. Depuis longtemps. »
Le plancher craque
L’un des policiers, le plus jeune, voulut appeler les services sociaux. L’autre, le capitaine Morin, regardait la petite avec une expression troublée.
Quelque chose clochait. Elle ne semblait pas effrayée. Ni triste. Ni perdue.
Elle était… résignée.
— Tu veux dire que ton papa est blessé ? Tu veux qu’on l’aide ?
— Non. Il ne parle plus. Il est froid. Il est là… sous les planches.
Elle pointa du doigt une zone précise du sol, juste devant une vieille cheminée condamnée.
Morin, malgré lui, sentit un frisson lui parcourir le dos.
Ils appelèrent les renforts.
Ce qu’il y avait sous les lattes
Une heure plus tard, une équipe technique souleva prudemment les lattes du plancher.
La petite fille, Camille, les observait depuis un coin de la pièce, sans ciller.
Sous le bois pourri, à quelques centimètres de profondeur, enveloppé dans une couverture tachée…
un corps.
Celui d’un homme, en état de décomposition avancée.
Identification rapide : Paul Delage, ancien enseignant, officiellement porté disparu depuis 14 mois.
Son ADN confirma l’identité.
Mais ce qui glaça le sang des agents, ce ne fut pas le cadavre.
C’était le fait qu’autour de la « tombe » improvisée se trouvaient des dessins d’enfant, posés soigneusement.
Des feuilles de papier, où Camille avait dessiné, semaine après semaine, son père sous terre.
Parfois avec un cœur. Parfois avec des larmes. Parfois… avec des croix.
La vérité qu’on ne voulait pas entendre
Quand l’enquêtrice des services de protection de l’enfance demanda à Camille ce qui s’était passé, elle répondit avec la même voix douce :
« Il criait tout le temps. Il cassait les murs. Et maman pleurait.
Et puis un jour, elle m’a dit : «On va faire du silence.» »
Maman ?
Mais il n’y avait aucune trace d’une femme dans la maison.
Aucun vêtement, aucune photo récente. Rien.
Et pourtant, Camille insistait :
« Elle était là, longtemps. Puis elle est partie. Elle m’a laissée avec lui. Elle a dit que je devais veiller. »
La petite avait survécu plusieurs mois seule, dormant dans une maison vide, se nourrissant de conserves retrouvées au sous-sol. Et chaque soir, elle parlait à son père sous le plancher, lui lisait des histoires.
L’enquête et le silence
Les analyses médico-légales confirmèrent que la cause du décès était un traumatisme crânien.
Mais il était impossible de dire qui avait frappé.
Camille ? Trop jeune, trop frêle.
La mère ? Introuvable.
Une recherche nationale fut lancée. Mais le nom de la femme ne figurait plus nulle part. Comme si elle n’avait jamais existé.
Ce qu’on ne saura jamais
Camille vit désormais chez une famille d’accueil.
Elle ne parle presque jamais.
Mais parfois, tard le soir, elle murmure à sa nouvelle mère adoptive :
« Tu sais… il me parle encore.
Quand je dors, je l’entends frapper sous le sol.
Il n’est pas content que je sois partie. »
Et dans ses yeux, un éclat.
Pas de peur.
Pas de joie.
Juste ce silence glacial… comme celui du salon, la nuit où la vérité a refait surface.