L’avion était presque plein. Les passagers affluaient à travers l’allée centrale, certains pressés, d’autres un peu perdus, leurs yeux scrutant les numéros inscrits au-dessus des sièges. Un brouhaha diffus emplissait la cabine : le bruit des valises qu’on soulevait pour les ranger dans les compartiments à bagages, les murmures des conversations, les grincements métalliques des sièges qui se redressaient.
Une hôtesse de l’air souriait poliment tout en répétant inlassablement :
— Bonjour, votre siège est juste ici. Attention à la tête.

Des enfants s’agitaient, excités par l’idée de décoller. Une femme âgée essayait de hisser son sac à main trop lourd dans le compartiment au-dessus d’elle, pendant qu’un jeune homme, casque sur les oreilles, s’excusait à peine en la bousculant pour atteindre son siège hublot. Un parfum de café flottait dans l’air, mélangé à celui du plastique neuf et du désinfectant. L’atmosphère était électrique, mais pas désagréable. C’était un moment suspendu, un entre-deux-mondes, celui entre la terre ferme et les cieux.
Assise au rang 17A, une femme d’une quarantaine d’années observait la scène à travers la minuscule fenêtre. Elle ne regardait pas vraiment le tarmac, mais plutôt son propre reflet. Elle voyageait seule, comme souvent. Une valise cabine soigneusement rangée à ses pieds, un roman à moitié lu sur ses genoux. Ce vol, elle ne le redoutait pas. Elle en avait pris des dizaines. Ce qu’elle redoutait, c’était le retour. Ou l’arrivée. C’était flou. Peut-être les deux.
Quelques rangées plus loin, un père tentait de calmer son fils qui tapait frénétiquement sur l’écran du siège devant lui. Un couple échangeait des regards silencieux, peut-être à cause d’une dispute commencée à l’aéroport, peut-être à cause d’un trop-plein de souvenirs en commun. À l’arrière, un homme feuilletait nerveusement les consignes de sécurité, tandis que sa voisine tapait un dernier message avant d’activer le mode avion :
« Je t’écris dès que j’atterris. »
Peu à peu, les valises se stabilisaient, les passagers s’installaient, les ceintures s’attachaient. Le chaos organisé laissait place à une étrange tranquillité. La lumière des hublots se tamisait, et les moteurs, encore silencieux, semblaient retenir leur souffle.
Et puis, une voix familière résonna dans la cabine :
— Mesdames et messieurs, bienvenue à bord du vol 742 en direction de Lisbonne. Nous vous prions de bien vouloir attacher votre ceinture de sécurité et de vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode avion…
Un léger frisson parcourut la cabine. Non pas de peur, mais d’anticipation. Le moment approchait. Le moment où tout allait s’élever. Où la vie au sol, avec ses responsabilités, ses habitudes, ses douleurs parfois, allait s’estomper dans les nuages.
Quelques instants plus tard, l’avion s’ébranla sur la piste. Une dernière main glissa dans une autre. Un dernier soupir. Un dernier regard vers la terre ferme.
Puis les roues quittèrent le sol.
Et le monde en dessous devint soudain très, très petit.