Il se tenait pieds nus dans la terre brûlée par le soleil, la peau grise, comme si le désert lui-même l’avait imprégné. Il ne portait que des lambeaux de tissu et une croûte d’argile vieille de plusieurs décennies, durcie comme une seconde peau. Il sentait la fumée, la terre et quelque chose d’animal – un mélange de mort et de vie. C’était l’apparence d’un homme qui n’avait pas connu l’eau depuis soixante ans.
Amu Haji vivait dans le village iranien de Dezhga, mais plutôt à l’écart – dans un trou creusé dans le sable. Sa maison ressemblait à un repaire d’animaux sauvages : quelques bidons rouillés, des bâtons carbonisés, une boîte de conserve remplie d’eau trouble. On disait qu’il pouvait contempler le ciel des heures durant la nuit et converser avec le feu, comme s’il le comprenait mieux que les humains.

Il avait été un jeune homme – pur, têtu, amoureux. Mais un jour, l’amour ne fut pas réciproque, et ce rejet le brûla de l’intérieur. Il partit. Disparut, tout simplement. Dans le désert, il trouva le silence, dans la boue, la paix. Et puis, une conviction : l’eau tue. Quelque chose dans son esprit bascula. Il devint convaincu que la propreté n’était pas une bénédiction, mais un danger.
Il évitait la pluie, se cachant sous des boîtes de conserve lorsqu’un orage éclatait. On lui apportait à manger, mais il ne mangeait que ce qu’il trouvait : charogne, viande de porc-épic avariée, ordures. Son estomac devint un laboratoire de survie, son corps une archive de microbes qui semblaient lui servir d’armure. Les médecins qui l’examinèrent furent stupéfaits : aucune maladie grave. Sa tension artérielle était normale. Son cœur fonctionnait. Comment ?
Un jour, les habitants décidèrent de l’aider. « Tu dois te laver, Grand-père. Ce n’est pas la vie », lui dirent-ils. Il rit. Puis il en eut assez de discuter. Et il accepta. Ce jour-là, l’eau coula sur son corps, comme pour laver non pas la saleté, mais l’histoire même qu’il portait en lui. Les gens se réjouirent, prirent des photos, et quelqu’un dit : « Maintenant, il est redevenu humain. »
Et quelques semaines plus tard, il mourut.
Coïncidence ? Peut-être. Mais comment ne pas se souvenir de ses paroles : « Si je me lave, je mourrai. »
Ce n’est peut-être pas du mysticisme, mais de la biologie : pendant des décennies, des microbes avaient vécu en symbiose avec lui, formant un bouclier naturel. Ou peut-être avait-il simplement perdu la foi, cette étrange énergie intérieure qui le maintenait en vie. Après tout, un corps sans signification s’abandonne vite.
Quand j’ai lu son histoire pour la première fois, j’ai ressenti un malaise. Qu’y a-t-il de plus effrayant : la saleté sur la peau ou la saleté dans l’âme, que nous dissimulons tous sous l’odeur du gel douche et des chemises propres ? On se lave les mains après être sorti, mais pas après avoir menti. On purifie son corps, mais pas ses pensées. Lui était tout le contraire. Il a renoncé à la propreté extérieure pour ne pas perdre son intégrité intérieure. Parfois, les extrêmes sont simplement une autre forme de foi.
La nuit, dans le désert, là où son feu s’est éteint, le vent bruisse sur le sable, comme à la recherche des traces d’un homme qui craignait l’eau mais ne craignait pas la solitude. Et peut-être était-il plus pur que nous, simplement d’une manière différente.
Et quelque part sous des couches d’argile, ce jeune homme autrefois mal-aimé vit encore.