Quand le couteau a rencontré une résistance, j’ai cru que la saucisse était simplement congelée. Une cuisine froide, un matin gris, la lumière blafarde de la fenêtre. Tout était normal… jusqu’à ce que la lame glisse sur quelque chose de dur. Clic. Et le silence, comme si l’air lui-même retenait son souffle. J’ai baissé les yeux et j’ai aperçu un éclat métallique dans la masse rose.

J’ai extrait la trouvaille avec la pointe du couteau. Une petite clé USB. Dégoûtante, collante, avec une odeur d’épices et de plastique. J’ai frissonné : j’en avais déjà mangé. J’en avais mangé ! Plusieurs morceaux, et c’est seulement maintenant que je m’en rendais compte… Et s’il y en avait des dizaines comme ça ? Et s’il y en avait dans chaque pain ?

Un mélange de dégoût et d’autre chose… cette sensation d’avoir déjà peur, mais de ne pas pouvoir s’arrêter. J’ai essuyé la clé USB avec un essuie-tout, allumé l’ordinateur et l’ai insérée. L’écran a clignoté. Un dossier ordinaire. Sans titre. À l’intérieur, quatre fichiers vidéo.

La première montrait une usine. Des caméras de surveillance. Des ouvriers en blouse blanche, un tapis roulant, des emballages. Tout était stérile. Mais à la vingt-deuxième seconde, j’ai aperçu un mouvement : dans un coin, quelqu’un était penché sur un hachoir à viande. Un long silence. Puis un brusque mouvement de tête vers la caméra. Et la personne souriait. Droit dans l’objectif. Ce sourire était… étrange.

J’ai fermé la vidéo, mais ma main a automatiquement ouvert la deuxième. C’était le même atelier, filmé de l’intérieur. La caméra semblait fixée sous la table. Les ouvriers ne s’en sont pas aperçus. L’image a capté leurs conversations, des bribes de phrases : « …de toute façon, ils ne le reconnaîtront pas », « le principal, c’est de ne pas mélanger les lots ». Puis le bruit d’un moteur, un rire, et la vidéo s’est arrêtée net.

La troisième ne montrait plus une usine. Une pièce sombre, une carte du pays accrochée au mur. Plusieurs hommes se disputaient, l’un d’eux a frappé du poing sur la table. Le son était faible, mais j’ai distingué les mots : « Crypter des informations dans des produits, c’est on ne peut plus simple.»

Je suis resté figé. Qu’est-ce que c’était que ça ? Une blague ? Une fuite ? Une campagne marketing ? Ou quelque chose d’encore plus sinistre ?

J’ai ouvert la dernière vidéo. L’écran était presque noir, on entendait juste un léger bruissement. Puis un visage. Celui d’une femme. Pâle, comme filmé de nuit par une simple lampe. Elle a dit doucement :

« Si vous avez trouvé ça… ça veut dire qu’ils sont déjà là. N’essayez même pas… »

Et c’était tout. Fin.

L’ordinateur a planté. La souris ne bougeait plus, l’écran est devenu gris. Au redémarrage, la clé USB n’était plus détectée. Le vide. Comme si de rien n’était.

Je suis resté assis à écouter le tic-tac de l’horloge. Des questions tourbillonnaient dans ma tête. Un virus ? Un piège ? Mais pourquoi dans ma saucisse ? Quelqu’un l’avait-il mise là exprès ? Ou était-ce juste une erreur, un bug, une coïncidence ?

Plus tard, je suis retourné au magasin, sans explication, juste pour regarder le comptoir. Les mêmes pains, les mêmes emballages. La vendeuse m’a souri, comme toujours. J’ai demandé : « Vous avez reçu les nouveaux arrivages ?»

Elle a hoché la tête.

« Oui, hier. De la même usine.»

Et à cet instant, j’ai compris que je ne voulais plus rien acheter. Non pas par peur. Simplement parce que je n’y croyais plus. Je ne croyais plus que la nourriture soit simplement de la nourriture. Qu’un écran soit simplement un écran. Que le hasard soit simplement le hasard.

Ce soir-là, j’ai jeté les restes de saucisse. Mais le couteau, ce même couteau, est resté sur la table. Et chaque fois que la lumière le frappe, il reflète un petit éclat à peine perceptible, un rappel que parfois la réponse se cache là où on l’attend le moins.

Et peut-être que demain, en ouvrant le réfrigérateur, vous aussi, vous penserez : et si ce n’était pas simplement de la nourriture ?