L’atmosphère était étrangement glaciale, non pas à cause de la température, mais à cause des regards. Les jeunes filles, vêtues de fines blouses grises, étaient assises sur des chaises métalliques, les mains sur les genoux, le regard baissé. L’air était saturé d’une odeur d’iode et de formol, mêlée à quelque chose d’insaisissable et d’humain : la peur. Un médecin en blouse blanche parcourait la rangée, prenant des notes dans un dossier. Derrière lui, un homme en uniforme observait chacun de ses mouvements sans ciller.

L’une des filles leva la tête, un instant, comme pour reprendre son souffle. À ce moment précis, le crayon du médecin se figea. « Numéro 24 – vérifiée », dit-il d’un ton sec. Pas un mot de plus. Le silence retomba dans la pièce, un silence où même respirer sonnait comme un aveu de culpabilité.
Officiellement, il s’agissait d’un examen médical de routine. En réalité, c’était un rituel de soumission. Ici, on ne mesurait pas la tension artérielle, mais l’obéissance. On ne s’intéressait pas à la santé, mais à la loyauté. Chaque détail du corps est consigné dans les statistiques d’État. Poids, taille, même la texture de la peau : tout est enregistré. Mais les rapports ne mentionnent jamais l’essentiel : que sous ces blouses se cachent des êtres humains, et non de simples rouages.
Parfois, un bref regard s’échange entre médecins et fonctionnaires. « N’est-elle pas trop pâle ? N’est-elle pas trop maigre ? Et pourquoi celle-ci pleure-t-elle ?» On tend une serviette à la jeune fille, et tout est noté. En Corée du Nord, le corps humain cesse d’être un espace personnel. Il devient un document modifiable.
Mais la médecine est censée soigner, non évaluer, n’est-ce pas ? Comme l’humanité se transforme vite en instrument de contrôle quand le libre arbitre disparaît ! Ces « examens » ne concernent pas la santé, mais l’aptitude physique. Sous couvert de souci national se dissimule une idée ancestrale : l’État est maître du corps, et l’individu n’en est que l’utilisateur temporaire.
Une infirmière murmura, avec appréhension, comme si elle avouait un crime : il arrive qu’elles voient des filles forcées de se déshabiller entièrement, même devant des fonctionnaires masculins. Officiellement, c’est « pour des mesures précises ». En réalité, c’est une démonstration de pouvoir. Leurs corps deviennent une preuve de soumission, un serment silencieux.
Parfois, si un fonctionnaire juge la jeune fille « recommandée », elle peut être envoyée suivre une « formation spéciale ». Personne n’explique ce que cela signifie. Certaines finissent dans des institutions gouvernementales, d’autres disparaissent. La rumeur court que certaines deviennent des « cadeaux » pour l’élite du parti. Mais dans une société où poser des questions est un crime, les rumeurs remplacent la vérité.
Un jour, raconte-t-on, une jeune fille n’en put plus. Quand le médecin lui ordonna de se déshabiller, elle répondit : « Je ne vous appartiens pas.» Quelques secondes de silence, puis la chaise se renversa, les gardes se levèrent. On l’emmena dehors. On ne la revit jamais. Ce jour-là, les autres pleuraient non par peur, mais parce que, pour la première fois, quelqu’un avait exprimé à voix haute ce qu’ils ressentaient tous.
Le paradoxe est que la Corée du Nord qualifie ces examens de « mesures humanitaires ». Les rapports parlent de « prévention des maladies » et de « prise en charge de la santé des femmes ». Les photos montrent des sourires, des salles stériles, des médecins fiers. Et seuls ceux qui y sont entrés savent qu’un sourire est une obligation vestimentaire.
Pourquoi le corps devient-il un instrument politique ? Peut-être parce qu’il est difficile de contrôler les pensées, mais plus facile de contrôler le corps. L’État craint non pas la maladie, mais l’individualité. Et le corps est le dernier rempart où une personne peut être elle-même.
On dira : « Ce n’est qu’un examen. » Mais c’est précisément avec ce « juste » que commence l’asservissement. D’abord, on vous autorise à mesurer votre taille. Ensuite, on vous autorise à regarder sous votre peau. Et alors, le corps ne vous appartient plus. Il appartient à une idée.
Plus tard dans la soirée, après un nouvel « examen », une infirmière nota dans son carnet : « Ils étaient particulièrement silencieux aujourd’hui. Comme s’ils comprenaient que leur silence faisait partie intégrante du rapport. » Cette phrase resta gravée dans sa mémoire, comme un diagnostic pour tout le pays.
Et pourtant, parfois, parmi ces visages identiques, quelqu’un lève les yeux. Un simple regard fixe, droit dans les yeux du fonctionnaire, une fraction de seconde, mais avec défi. À cet instant, quelque chose se fissure dans ce système de fer. Car aucun pouvoir ne peut dominer totalement ce qui vit en nous : le souffle, le battement du cœur, le souvenir de la liberté.
Quand un corps devient propriété de l’État, il cesse d’être un corps ; il se transforme en une forme d’aliénation, un rapport, un outil. Mais tant que quelqu’un est capable d’éprouver de la honte, de la douleur, de la résistance, cela signifie que la vie intérieure n’est pas morte.
Et peut-être qu’un jour, dans cette même pièce, froide aujourd’hui et imprégnée d’odeur de formol, quelqu’un relèvera la tête. Non plus pour respirer, mais pour dire : « Je ne suis pas un numéro. »
Et puis, pour la première fois, le médecin ne prendra aucune note.