Il s’est réveillé au son d’un léger bourdonnement, presque comme la respiration d’une machine. Un goût métallique dans la bouche, une légère odeur d’antiseptique et la lumière blanche des lampes, qui lui piquait les yeux comme le soleil. Quelques secondes plus tard, la mémoire lui est revenue : l’opération était terminée. Mais le cœur qui battait dans sa poitrine n’était plus humain. Il ne battait plus du tout.

Les médecins lui ont dit qu’il vivait désormais sans pouls. Ce n’était plus le rythme qui réchauffait son corps, mais la rotation : un minuscule rotor en lévitation dans un champ magnétique, comme une planète suspendue dans le vide. BiVacor, une entreprise australienne, avait créé un nouveau type de cœur : sans valves, sans engrenages, sans battements. Il ne « batt » pas, il fait tourner la vie.
« Vous l’entendez ?» demanda le chirurgien en désignant l’écran.
« Non.»
« Et vous ne devriez pas. Il fonctionne parfaitement dans le silence.»
En novembre 2024, cet homme avait quarante ans. Un âge où beaucoup entreprennent la construction d’une maison, mais lui se préparait à une opération qui pourrait le mener à la morgue. L’insuffisance cardiaque le rongeait lentement. Son cœur s’était arrêté trois fois, et les médecins l’avaient ramené à la vie à trois reprises. La quatrième fois, ils décidèrent qu’il lui fallait un autre cœur – non pas un cœur de donneur, mais un cœur artificiel, façonné de titane et de pensée.
Treize heures d’anesthésie. La lame, l’incision, l’odeur de chair cautérisée, le cliquetis des instruments métalliques. Il ne se souvenait de rien, mais son corps, lui, se souvenait de la douleur. Après l’opération, tout était différent : sa peau lui paraissait étrangère, sa poitrine un résonateur. Au lieu d’un battement de cœur, il y avait un léger bourdonnement, comme celui d’un transformateur lointain. Parfois, il posait la main sur sa poitrine et ne ressentait pas la vie, mais la technologie.
La nuit, il s’écoutait. C’était absurde : un homme sans pouls vérifiant s’il était vivant. Il lui semblait que si ce rotor invisible s’arrêtait, il disparaîtrait tout simplement, sans même s’en rendre compte. Comment vivre quand la mort ne fait plus de bruit, mais s’éteint simplement comme un appareil ?
En février 2025, il est rentré chez lui. Il a quitté l’hôpital Saint-Vincent, une petite batterie externe à la main – un rappel constant que sa vie dépendait d’une prise électrique. Ses pas étaient lourds. Le vent lui fouettait le visage, le sang lui bourdonnait dans les oreilles, et c’est seulement à ce moment-là qu’il a réalisé que, pour la première fois depuis des mois, il ressentait un vrai mouvement – le sien, et non celui d’une machine.
Il réapprenait à dormir sur le côté, à respirer sans crainte, à rire sans douleur. Mais au fond de lui, il avait l’impression de vivre non pas dans un corps, mais dans un prototype. Sa famille avait peur de le toucher : c’était comme si un laboratoire était caché en lui.
« Et s’il tombe en panne ? » murmura sa femme.
« Alors, peut-être, j’arrêterai tout simplement d’être un cobaye. »
Au printemps, en mars, la nouvelle est tombée : un donneur avait été trouvé. Les médecins ont décidé de prendre un risque : transplanter un vrai cœur. Son corps, habitué au titane et aux aimants, devait accepter des tissus vivants. C’était une seconde chance – une seconde chance de vivre, mais aussi de retrouver son humanité.
Avant l’opération, il avait demandé à garder l’implant près de lui. « Il m’a sauvé la vie. Sans lui, je ne serais pas là », dit-il d’une voix douce. Le médecin sourit : « BiVacor vous a donné du temps. Maintenant, faisons revenir le rythme. »
À son réveil après la greffe, sa poitrine le faisait différemment. Sous ses doigts – pour la première fois en six mois – un léger battement chaud. Il était irrégulier, faible, mais vivant. Et dans ce rythme tremblant, il entendit soudain non seulement la vie, mais aussi la gratitude.
Il resta longtemps assis près de la fenêtre de sa chambre d’hôpital, écoutant son cœur réapprendre à battre. La pluie tombait à travers la vitre. Quelque part dans le laboratoire, sur une table métallique, reposait le vieil appareil – silencieux, froid, comme une pensée figée d’un ingénieur.
Il le savait : il sauverait encore quelqu’un d’autre. Peut-être quelqu’un qui ne croit pas encore que la vie puisse être tissée par des aimants.
Et pourtant, le son le plus net qu’il percevait désormais était ce « boum-boum » irrégulier. Réel. Fragile. Comme la réponse de l’Univers à une question jamais posée :
« Qu’est-ce qui nous fait vivre ? Le cœur ou la conscience qu’il peut s’arrêter ? »
Il vivait avec un cœur qui n’existait plus. Et cela lui a appris à aimer ce qui bat.