Tremblante, hésitante… mais obstinée. La foule en bas se figea. Certains levèrent leur téléphone d’un geste automatique, d’autres posèrent une main sur leur poitrine, comme si un souffle trop fort pouvait briser ce moment fragile.
On aurait dit qu’Edna Troche Sintron murmurait au monde une seule phrase :
« Je suis encore là. »
Mais était-ce un appel au secours… ou l’aveu silencieux d’une vérité qu’elle portait seule depuis trop longtemps?
Et si ce geste était le dernier — à qui était-il adressé?
Un grondement sourd flottait au-dessus de la rue, semblable au roulement d’une mer lointaine, sauf qu’ici il n’y avait ni vent ni vagues — seulement l’odeur âcre du plastique brûlé et d’une vie en train de se disloquer. Le feu crépitait comme une bête affamée. Chaque montée de flammes rappelait que le temps, là-haut, ne se mesurait plus en minutes, mais en respirations. Parfois en ultimes respirations.

Quand sa main se découpa dans la lumière orange du brasier, la foule ne recula pas par peur — mais par reconnaissance. C’était le geste que n’importe quel être humain ferait au bord du vide : une tentative désespérée de retenir le monde, même quand il glisse déjà entre les doigts.
Ses doigts tremblaient. Pas de panique — d’un effort presque douloureux pour ne pas lâcher une dernière connexion invisible. Une mémoire? Un regret? Nul ne pouvait le dire. On sentait seulement que ce n’était plus un geste de survie. C’était un geste pour ne pas disparaître sans témoin.
Les flammes rugirent de nouveau, et la fenêtre où elle se tenait devint tour à tour porte vers l’abîme ou vers une autre réalité. Edna chancela. La rue entière cria, comme un seul organisme blessé. Dans ce cri, il y avait de la peur — mais aussi autre chose, plus troublant:
la terreur de se reconnaître en elle.
Puis un homme surgit derrière les pompiers et hurla son nom — un cri arraché de quelque part si profond qu’il en paraissait inhumain. Mais Edna ne tourna pas la tête. Et ce simple refus de se retourner blessa davantage que le feu lui-même.
Car parfois, au bord de la fin, on tend la main non vers celui qui vous appelle… mais vers celui qui n’est jamais venu.
Un souffle de vent dégagea brièvement la fumée, révélant son visage. Pas d’effroi. Pas de panique.
Juste une clarté étrange, presque apaisée — ce genre de lucidité qui glace le sang parce qu’elle dit tout ce que les mots n’osent pas formuler.
Peut-être savait-elle déjà ce que les autres pressentaient sans se l’avouer :
certaines fins ne sont pas des supplications.
Ce sont des phrases restées en suspens, adressées à quelqu’un qui fut important… et qui ne l’entendra peut-être jamais.
Les flammes se soulevèrent une dernière fois, comme si le monde lui-même perdait l’équilibre. Mais sa main demeura levée. Fine. Fragile. Inflexible.
Un seul geste.
Une seconde suspendue dans l’air brûlant.
Et il arrive que ce geste soit plus puissant que toute une existence — et qu’il continue de résonner, même lorsque tout le reste s’est tu.