Tout avait commencé comme un caprice innocent — une petite retouche ici, un léger “mieux” là.

Rien d’excessif, rien d’alarmant.
Mais le désir de perfection a une faim qui ne s’apaise jamais. On croit la contrôler, puis on comprend que c’est elle qui nous dévore.

Le premier geste fut presque imperceptible.
Le deuxième, plus audacieux.
Le troisième… un pas de trop, peut-être, mais elle ne voulait plus s’arrêter.

Les lampes du bloc opératoire brillaient au-dessus d’elle comme des astres impitoyables, et elle, allongée dans leur lumière blanche, offrait son corps à la transformation comme on offre une toile à un peintre exigeant.

Elle fit retirer deux côtes « pour mieux respirer la beauté ».
Elle modifia la bouche, le nez, les pommettes, les hanches.
À force de polir, lisser, sculpter… elle avait presque effacé celle qu’elle était avant.

Un matin, en se levant, elle eut la sensation étrange de se réveiller dans le corps d’une autre.

Son reflet dans le miroir l’observait avec une perfection glaciale — une beauté presque irréelle, troublante, dangereuse.
Elle tenta un sourire : il se dessina avec une exactitude mécanique, trop précise pour être humaine.

En sortant, elle s’attendait à des compliments, à des regards fascinés.
Mais les passants détournaient les yeux ou, pire encore, la fixaient comme on fixe une statue qui aurait mystérieusement pris vie.
Leur malaise était palpable, comme si son visage était trop symétrique, trop lisse, trop… silencieux.

Ce soir-là, en rentrant, elle sentit quelque chose bouger sous sa peau.
Un frémissement léger, sournois, venu de l’intérieur.
Elle se figea.
Ce n’était ni la douleur ni le stress — plutôt la sensation qu’une présence inconnue venait de traverser son corps comme une ombre.

Allongée dans le noir, elle écouta sa respiration.
Elle était calme, régulière, parfaite.
Une perfection qui, soudain, lui fit peur — comme si un métronome invisible réglait chaque souffle à sa place.

Puis cela recommença :
un petit “toc”.
Infime.
Comme si quelque chose frappait doucement… depuis l’intérieur de sa poitrine.

Elle sentit une vague de froid remonter son dos.

Si tout ce qui était naturel en elle avait disparu… qu’est-ce qui restait ?
Ou plutôt — qui ?

Tremblante, elle s’approcha du miroir.
Son reflet l’attendait, immobile, impeccable.
Mais ses yeux… il y avait dans sa pupille un éclat qu’elle ne reconnut pas.
Une lueur étrangère, presque ironique.

Et puis — l’horreur discrète, mais implacable :
le reflet cligna des yeux une fraction de seconde avant elle.

Elle recula brusquement, le cœur battant, incapable de détacher son regard de ce visage parfait qui n’obéissait plus tout à fait au sien.

Depuis ce soir-là, elle redoute l’obscurité.
Non pas les ombres — elles sont honnêtes.
Ce dont elle a peur, c’est du moment où la lumière s’éteint et où, sous la surface polie de son corps, quelque chose d’autre semble respirer avec elle.
Quelque chose qu’elle croyait avoir effacé.

Et parfois, dans le silence profond de la nuit, elle croit entendre une voix, douce mais mordante, murmurer :

« Où l’as-tu cachée, celle que tu étais ? »
« Pourquoi penses-tu pouvoir vivre en me reniant ? »
« Quand vas-tu me laisser revenir ? »

Elle comprend alors que le scalpel n’a pas seulement coupé la chair.
Il a ouvert une porte.
Une porte que la version “idéale” d’elle-même ne parvient plus à refermer.

Et un jour, elle le sait, son reflet clignera encore…
mais ce ne sera plus pour l’imiter.
Ce sera pour prendre sa place.

Опубликовано в

Добавить комментарий

Ваш адрес email не будет опубликован. Обязательные поля помечены *