Le rire surgit presque malgré soi.

Un réflexe. Un regard de loin suffit : des couleurs trop vives, des associations improbables, une tenue qui semble défier toutes les règles tacites de la rue. À l’arrêt de bus, certains chuchotent. Dans le métro, des sourires en coin apparaissent. Sur les réseaux, les mots tombent vite : « ridicule », « clown », « il cherche l’attention ».

Et pourtant, il avance.
Sans provocation. Sans colère. Sans justification.

Sa femme ne détourne pas les yeux. Elle ne lui demande pas de rentrer se changer. Elle ne murmure pas « les gens regardent ». Elle sait. Elle connaît la raison profonde. Alors elle respecte le silence. Parfois, elle glisse simplement sa main dans la sienne. Ce geste-là suffit à tout dire.

De l’extérieur, la scène prête à rire.
De l’intérieur, c’est une autre histoire. Beaucoup plus lourde.

Avant, la vie était banale. Travail, maison, projets remis à plus tard, discussions sans importance. Puis un jour, dans un cabinet médical, une phrase est tombée. Courte. Froide. D’une précision chirurgicale. Pas une condamnation officielle, non. Juste une réalité qui ne se mesure plus en années, mais en probabilités.

À partir de là, les couleurs ont disparu. Pas seulement des vêtements. De tout. Les journées sont devenues ternes. La musique s’est tue. Les miroirs ont été évités. Chaque matin ressemblait au précédent, avec un poids supplémentaire sur la poitrine.

Le déclic est arrivé là où personne ne l’attend.
Dans un hôpital. Devant un service pédiatrique. En attendant un examen, un rire a traversé le couloir. Celui d’un enfant. Sept ans à peine. Pas de cheveux. Mais une veste orange éclatante et un bonnet rouge vif. Il riait fort. Comme si le temps ne comptait pas.

Ce rire a fissuré quelque chose.

Le soir même, une phrase a été prononcée, sans pathos, sans drame :
« Si le temps m’est compté, je veux qu’on me voie vivre. Pas disparaître en silence. »

Tout a commencé doucement. Une pièce de vêtement. Puis une autre. Des couleurs jugées “trop”. Des motifs qu’il n’aurait jamais osé porter avant. Ce n’était pas une mise en scène. C’était un rappel quotidien : respirer, marcher, exister — ici et maintenant.

Les regards, même moqueurs, avaient une étrange utilité. Ils confirmaient une chose simple : il était encore là.

Sa femme a compris sans explication. Elle n’a pas vu l’excentricité. Elle a vu la résistance. Un refus discret mais acharné de se laisser avaler par la peur, la douleur et les statistiques.

Parfois, quelqu’un ose poser la question : « Pourquoi vous habillez-vous ainsi ? »
Parfois, quelqu’un rit.
Et parfois, le silence s’installe quand la vérité apparaît.

Le rire s’éteint. Les regards se baissent. Les mots restent coincés.

Pas par gêne.
Mais parce que soudain, ce n’est plus un “homme étrange” qui se tient là. C’est quelqu’un qui a choisi de ne pas s’effacer.

Il ne réclame ni pitié.
Ni compréhension.

Il marche simplement dans la ville, enveloppé des couleurs qu’il a choisies, tant que ses jambes le portent. Et sans le vouloir, il laisse derrière lui une question inconfortable : combien de fois rions-nous… sans jamais chercher à comprendre pourquoi ?

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