Je me souviens encore du jour où j’ai fermé la porte de mon appartement en banlieue parisienne. Une valise à la main, une boule dans la gorge, et une destination un peu floue : Berlin, chez ma fille, pour « quelques semaines », disais-je à mes voisines. Mais au fond de moi, je savais déjà que ce départ était différent.
Ma fille Claire vivait en Allemagne depuis cinq ans. Elle y avait construit une belle carrière, un réseau d’amis fidèles, une vie bien remplie… loin de moi. Après la perte de mon mari, le silence dans mon quotidien était devenu pesant. Et lorsqu’un jour, au téléphone, elle m’a dit :
« Maman, pourquoi tu ne viendrais pas un peu ici ? », j’ai senti une ouverture. Une main tendue. Un possible nouveau départ.

Quelques semaines sont devenues quelques mois. Et au final, j’ai passé près de trois ans à vivre avec elle, dans son petit appartement du quartier de Prenzlauer Berg.
Au début, j’étais pleine de doutes. Allais-je être un poids pour elle ? Allais-je supporter la langue, la mentalité, le rythme d’une grande ville étrangère ? Mais rapidement, la vie s’est installée. J’ai découvert des marchés où l’on entendait parler dix langues à la fois, des cafés où l’on pouvait lire tranquillement des heures sans se faire presser, des musées étonnants et surtout… une version de ma fille que je ne connaissais pas.
Elle n’était plus seulement mon enfant. Elle était une femme forte, pleine de convictions, parfois dure, souvent touchante. Partager son quotidien m’a offert un regard nouveau sur elle — mais aussi sur moi-même. J’ai appris à m’adapter, à me taire quand il fallait, à exprimer ce que je ressentais sans jugement. Nous avons appris à cohabiter, non pas comme mère et fille, mais comme deux adultes qui s’aiment profondément et qui doivent composer avec leurs différences.
Évidemment, il y a eu des tensions. Il y a eu des soirées où nous ne nous sommes pas parlé, des maladresses, des émotions trop vives. Mais il y a surtout eu une reconquête silencieuse : celle de notre lien, trop longtemps distendu par la distance et les années.
Durant ces trois années, j’ai aussi recommencé à vivre pour moi. J’ai suivi un atelier d’écriture, je me suis inscrite à un club de lecture franco-allemand, j’ai même osé sortir seule pour écouter du jazz. J’ai réappris à exister en dehors de mon rôle de mère, de veuve, de retraitée.
Aujourd’hui, je suis revenue en France. Mais rien n’est comme avant.