C’était un après-midi d’automne comme les autres. Le ciel était couvert, la lumière grise, et l’air sentait l’humus, la pluie et les feuilles mouillées. Camille, photographe amateur passionnée par la nature, se promenait seule dans la forêt du vieux domaine de Montbrume, un endroit réputé pour sa beauté… mais aussi pour ses vieilles légendes.
Elle marchait sans but précis, s’arrêtant de temps en temps pour capturer la lumière filtrant à travers les branches ou les textures moussues des troncs. Le silence était profond, presque trop. Pas un chant d’oiseau, pas un bruissement. Un calme lourd, presque irréel.

C’est alors qu’elle vit cette scène.
Un vieux banc de pierre, recouvert de lichen, au pied d’un chêne gigantesque. Derrière, un mur de brouillard. La composition était parfaite. Camille s’agenouilla, régla l’objectif et prit la photo.
Un seul cliché.
Puis elle reprit son chemin.
Ce n’est que le soir, en rentrant chez elle, qu’elle regarda ses prises du jour. La plupart étaient jolies, mais banales. Puis elle arriva à cette image. Celle du banc.
Au début, rien de particulier. Mais alors qu’elle zoomait pour mieux voir la texture du bois humide… elle sentit un frisson glacé lui courir dans le dos.
Quelque chose la fixait.
Derrière le banc. Dans le brouillard. Flou mais indiscutable. Deux yeux. Noirs. Humides. Inhumains. Trop grands pour appartenir à un animal connu. Trop bien alignés pour être une illusion d’optique.
Elle cligna des yeux. Recadra. Zooma encore. Les yeux étaient là.
Et ce n’était pas tout.
Plus elle regardait, plus une forme semblait se dessiner autour de ce regard. Une silhouette. Longue. Courbée. Comme faite d’ombre et de brume. Et surtout… elle avait la tête tournée vers l’objectif. Vers elle.
Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Personne. Mais son cœur battait à tout rompre.
Elle agrandit la photo sur son écran. Et là, elle vit ce qu’elle n’aurait jamais dû voir.
Un sourire.
Infime. Tordu. Une ligne presque invisible dans la brume… mais un sourire, sans aucun doute. Fixe. Vide. Comme s’il avait attendu, là, qu’on le regarde. Comme s’il savait.
Camille referma brusquement son ordinateur. Elle tenta de se raisonner : reflet, erreur, imagination. Mais une voix intérieure chuchotait autre chose.
Cette chose était là.
Et peut-être… qu’elle la suivait encore.
Depuis ce jour, Camille n’est jamais retournée dans la forêt de Montbrume. Et la photo ? Elle a disparu de son disque dur sans explication. Mais elle jure, encore aujourd’hui, que tout ce qu’elle a vu était réel.
Et vous, si vous aviez vu ce regard…
Auriez-vous osé rester ?