Dans les montagnes du nord, là où l’hiver semble éternel et la neige ne fond jamais complètement, vivait une louve blanche, aussi majestueuse que farouche. Les habitants du village voisin l’appelaient la mère-spectre, car on ne la voyait que rarement, filant comme un souffle entre les sapins givrées, toujours seule, toujours silencieuse.
Mais ce que personne ne savait, c’est que cette louve n’était pas seule. Dans une tanière creusée sous une épaisse couche de neige, elle cachait quatre petits louveteaux, encore aveugles, blottis les uns contre les autres. C’était son premier hiver en tant que mère. Et c’était un hiver cruel.

Un jour, alors qu’elle s’était éloignée pour chasser, un grondement étrange a secoué la montagne. Une détonation, suivie d’un éboulement. La neige, les pierres, les troncs d’arbre… tout s’était effondré sur la pente, ensevelissant la tanière sous des tonnes de glace et de terre. Elle est revenue trop tard. Elle a creusé, gratté avec ses pattes jusqu’au sang. Mais la glace était trop dure. Elle hurlait, elle tournait en rond, elle ne comprenait pas.
C’est alors qu’un vieil homme est apparu.
Jean, ancien forestier, vivait reclus dans une cabane en bois à la lisière de la forêt. Il n’avait plus de famille, plus de visiteurs, seulement ses souvenirs et la nature pour compagnie. Ce jour-là, il avait entendu le fracas depuis sa fenêtre. Et en s’approchant, il a vu la louve. D’abord, il a cru à une hallucination.
« Une bête pareille, si belle, si blanche… on aurait dit qu’elle pleurait », dira-t-il plus tard.
Plutôt que de fuir ou de prendre son fusil, Jean a observé. Il a compris qu’elle ne voulait pas attaquer. Qu’elle cherchait quelque chose. Et surtout, qu’elle n’abandonnait pas.
Alors, il a commencé à creuser avec elle.
Pendant des heures, dans le froid mordant, un homme et une louve ont travaillé côte à côte. Elle ne grognait pas, il ne parlait pas. Ils étaient unis dans une urgence silencieuse. À la tombée de la nuit, ils ont enfin entendu un gémissement. Faible. Étouffé. Mais bien réel.
Jean a sorti un petit louveteau, puis un deuxième… Ils étaient vivants, tremblants, affamés. Les deux autres n’avaient pas survécu. La louve les a léchés, puis a posé son museau contre la main du vieil homme. Pas pour le mordre. Pour le remercier.
Depuis ce jour, on raconte que chaque hiver, la louve revient s’asseoir près de la cabane de Jean. Elle ne s’approche pas trop. Elle observe. Elle veille. Et dans les bois, nul n’ose plus toucher aux louveteaux blancs.
Car tous savent désormais que la mère des neiges a un allié à deux jambes. Et que lorsqu’une bête et un homme comprennent la souffrance de l’autre, plus rien ne peut les arrêter.