Élise passait par la même rue chaque matin, en allant au travail. Assise dans le tram, elle avait remarqué cet homme depuis des mois. Toujours au même endroit, entre deux vitrines fermées, avec son sac de couchage et un regard perdu quelque part très loin. Il ne tendait pas la main, ne parlait à personne, ne demandait rien.
Un matin d’hiver, sans trop réfléchir, elle sortit un croissant de son sac et le déposa discrètement à côté de lui. Il leva à peine les yeux, mais hocha la tête. Le lendemain, elle recommença. Puis encore le jour suivant.

Les semaines passaient, et leur étrange rituel silencieux se poursuivait. Il n’y avait jamais de mots échangés, seulement un sourire timide, parfois un «merci» à peine audible.
Élise ne connaissait pas son nom. Elle ne savait rien de son passé. Mais quelque chose dans son regard, dans sa façon de remercier sans bruit, lui donnait envie de ne jamais l’ignorer.
Quand vint le jour de son mariage avec Thomas, un soleil rare d’avril illuminait Paris. Tout était parfait. Robe blanche, invités souriants, cérémonie dans une petite cour fleurie.
Mais alors que le prêtre s’apprêtait à commencer, un homme en manteau usé entra timidement par le fond de la salle. Plusieurs têtes se retournèrent, surprises. Il s’avança, un peu tremblant, et demanda s’il pouvait dire quelques mots.
Élise le reconnut aussitôt.
Il prit le micro, regarda la mariée, puis les invités.
« Je m’appelle Gabriel. Je suis sans abri depuis huit ans. Je n’ai plus de famille, plus d’amis. J’étais invisible. Jusqu’à ce qu’un matin, quelqu’un me voie. Quelqu’un qui n’a rien demandé en retour. Elle m’a offert du pain, puis de la chaleur, et sans le savoir, elle m’a rendu un peu d’humanité. Aujourd’hui, je veux juste dire merci. Merci à cette femme qui m’a sauvé plus que vous ne pouvez l’imaginer. »
La salle était silencieuse. Certains pleuraient.
Il déposa une petite boîte sur la table. À l’intérieur, une figurine en bois sculpté à la main. Une mariée. L’unique chose qu’il avait fabriquée ces dernières semaines. Pour elle.