Un froid matin d’hiver. La route est déserte, l’air lui pique la peau comme mille aiguilles. Le bus roule lentement, les pneus crissent sur la fine couche de glace, l’intérieur est silencieux. Quelques passagers somnolent, d’autres regardent par la fenêtre, et le chauffeur écoute le faible crépitement de la radio. Tout lui semble familier jusqu’à ce qu’une étrange tache sombre apparaisse devant lui.
Il plisse les yeux, pensant à un déchet, peut-être un sac ou un tapis abandonné. Mais plus il s’approche, plus il comprend : c’est vivant. Une ribambelle de chiots, blottis au beau milieu de l’autoroute. Ils frissonnent, bougent, mais ne se dispersent pas. Comme s’ils surveillaient quelque chose.
Le chauffeur klaxonne – un bref signal d’avertissement. Pas un seul ne bouge. Puis il allume les feux de détresse, descend du bus et s’approche d’eux, prudemment, sentant le vent lui souffler au visage. Les chiots s’écartent brusquement. Et à cet instant, il voit quelque chose qui lui glace le cœur, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur.
Sous un tas de cadavres gisait une chienne. Une adulte, grande, morte. Les chiots étaient allongés sur elle, comme pour la réchauffer. Sa fourrure était couverte de givre, ses pattes tendues, ses yeux mi-clos. Peut-être était-elle morte pendant la nuit – de faim, de froid, ou d’une voiture renversée. Mais les chiots sont restés. Ils sont simplement restés, ignorant que leur mère ne se relèverait jamais.
Il reste debout, incapable de bouger. Chaque seconde lui paraît insupportable. Une douleur sourde lui monte à la poitrine, comme si quelqu’un l’écrasait de l’intérieur. Puis il tombe à genoux. Les chiots n’ont pas peur. L’un d’eux s’approche, lui caresse la main de son museau humide. Un autre gémit faiblement. Le chauffeur enlève sa veste, enveloppe ses affaires et appelle quelqu’un au téléphone : les secours, un refuge, n’importe qui.
En attendant, il reste assis à proximité. Le froid lui brûle les doigts, mais il ne part pas. Impossible de partir quand on voit des petites vies se blottir autour d’une morte, sans se rendre compte que c’est fini. Il se demande : combien de fois est-il passé devant quelque chose de semblable, sans le remarquer, sans regarder ! Que de souffrances nous échappent chaque jour, simplement parce que nous sommes pressés.
Vingt minutes passent. Une voiture arrive. Des gens en vestes colorées prennent les chiots, les mettent dans une boîte et promettent de les emmener au refuge. Le chauffeur hoche la tête, mais ne part pas tout de suite. Il regarde la neige, la tache sombre sur la route où un chien gisait une minute plus tôt, et ne peut s’empêcher de penser : tout ce qu’ils voulaient, c’était survivre. Ensemble.

Plus tard, le soir, il rentrera chez lui et allumera la télévision, où les informations, les publicités et les conversations des autres empliront l’air. Mais le bruit ne couvrira pas le silence intérieur. Car désormais, chaque fois qu’il empruntera cette route, il aura l’impression d’apercevoir un point noir scintiller quelque part devant lui. Et son cœur s’arrêtera à nouveau.

Parfois, les rencontres les plus simples ne sont pas fortuites. Elles lui rappellent que le monde repose sur ceux qui s’arrêtent sans cesse. Même quand d’autres passent.