J’ai ouvert le réfrigérateur et l’odeur… était comme celle d’un sous-sol après une pluie. L’oignon, qui hier était vif, piquant et plein de caractère, était devenu une masse molle et flasque. Mon mari a haussé les épaules : « Au moins, il ne s’abîmera pas. » Et je suis restée là, un couteau à la main, sentant que quelque chose se gâtait, non seulement dans l’oignon, mais aussi pendant la cuisson.
On se dispute toujours à ce sujet. Il est pour l’ordre et le froid. Moi, pour le goût et la vie. « Tout dans le réfrigérateur est frais », dit-il. Et je me dis toujours : frais ne veut pas dire vivant. Certains aliments ne supportent pas le froid. Ils ont une mémoire de la chaleur. Et les oignons en font partie.

J’ai décidé de vérifier si je me trompais. J’ai disposé les oignons : une partie dans le garde-manger, une autre au réfrigérateur. Une semaine plus tard, j’ai ouvert le tiroir. Ils étaient froids – humides, moelleux, avec une odeur âcre, presque chimique. Ceux exposés à l’air sont secs, fermes, avec ce même « cœur d’oignon ». Quand on les coupe, le jus craque comme du verre sous un couteau.
Pourquoi ? C’est simple et à la fois choquant. Le froid détruit les cellules, et l’humidité les fait pourrir de l’intérieur. L’humidité est comme un faux soin : elle semble protéger, mais elle affaiblit. Les oignons ne sont pas des fleurs ; ils n’ont pas besoin de serre. Ils aiment la fraîcheur, mais pas le froid. L’air frais, l’ombre, l’espace. Pas un récipient en plastique où ils ne peuvent pas respirer.
Je me suis souvenue comment ma grand-mère conservait les oignons. Dans un vieux panier en osier, près de la fenêtre. Parfois, elle les retournait et les triait, comme un être vivant. Jamais au réfrigérateur. Et le goût de son bortsch est impossible à reproduire. Peut-être n’était-ce pas la recette, mais son respect des choses simples ?
Un jour, j’ai finalement essayé de convaincre mon mari. « Goûte-la toi-même », dis-je en lui tendant deux assiettes identiques. L’une était faite avec des oignons du réfrigérateur, l’autre avec ceux du garde-manger. Il goûta les deux en silence. Il resta silencieux un long moment. Puis il dit : « La première avait un goût stérile. La seconde sentait bon la maison.»
Nous avons ri, mais quelque chose en moi a fait tilt. Il ne s’agit pas d’oignons. Il s’agit de la façon dont nous tuons les êtres vivants par commodité. Comment nous échangeons le goût contre la conservation, l’arôme contre l’ordre, la vie contre le contrôle. Le froid n’est pas toujours une bénédiction. Parfois, il rend le monde un peu plus mort.
Avez-vous déjà remarqué comme la nourriture qui traîne au réfrigérateur perd sa voix ? Elle ne crie pas, ne chante pas, ne sent pas. Elle devient « fonctionnelle ». Et pourtant, la cuisine est une scène où les ingrédients devraient faire du bruit.
Maintenant, mes oignons sont dans le panier, comme il se doit. Parfois, ils germent, et je ne me fâche pas, au contraire. C’est leur façon de me le rappeler : ils sont vivants. J’adore cette sensation : quand on coupe un oignon et que l’air devient vif, comme une révélation.
Mon mari met encore de temps en temps quelques oignons au réfrigérateur. Je ne discute pas. Qu’il voie par lui-même. Qu’il ressente la différence entre un repas froid et une vie bien au chaud.
Et peut-être comprendra-t-il, comme moi à l’époque :
certaines choses ont juste besoin d’être laissées tranquilles,
pour qu’elles puissent être elles-mêmes.