La neige sous leurs pieds était comme du verre fragile ; une fissure, et c’était l’effondrement dans le silence. L’air était imprégné d’une odeur de givre et d’une douille brûlée par la poudre. Deux chasseurs avançaient entre les bouleaux, fatigués, en colère, le regard vide depuis longtemps. Le jour était désert ; pas une trace, pas un cri, pas même un souffle de vent. Et soudain, une tache rouge entre les arbres. Un éclair sur le monde blanc.
« Renard !» cria l’un d’eux.
Un coup de feu. L’écho résonna dans la forêt, mais sans faire de victime. Le renard esquiva, comme s’il savait d’avance où la balle allait atterrir. Et, sans accélérer, il s’enfuit vers l’endroit où la forêt se fondait dans la blancheur du champ.

Les hommes le suivirent. Ils marchèrent longtemps en silence, seuls le craquement de leurs pas et le souffle de leur respiration venaient troubler le silence. Les traces étaient fraîches, comme si elle les avait provoquées. Soudain, les arbres cessèrent et un vaste champ s’ouvrit devant eux, désert comme un étrange souvenir. Au milieu, une tache noire, comme si quelqu’un avait creusé un trou dans la terre.
Le renard se tenait au bord du champ, face à eux. Il ne s’enfuit pas. Il les observait.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » murmura l’un d’eux en retirant son gant.
Ils s’approchèrent. La neige alentour était lisse, mais on aurait dit que quelqu’un avait creusé récemment. Le premier chasseur jeta un coup d’œil prudent dans le trou. Et recula aussitôt.
« Oh, mon Dieu… il y a quelqu’un là-dessous. »
Au fond, il y avait des morceaux de planches, des chiffons, quelque chose qui ressemblait à une main. Ils échangèrent des regards incrédules. Le second sortit une lampe torche. Le faisceau éclaira l’obscurité. L’ombre vacilla.
« Ce n’est pas un animal », dit-il doucement.
Ils descendirent. L’odeur était lourde, rouillée, comme si le temps lui-même avait pourri là. De vieux vêtements émergeaient de la neige, des ossements humains gisant dessous, et tout près… une minuscule moufle d’enfant.
« Qui a fait ça ? »
« Je ne sais pas… mais regarde : la neige fraîche a été repoussée. Quelqu’un est passé par ici récemment. »
À cet instant, un léger craquement se fit entendre au-dessus d’eux. Ils levèrent les yeux : la renarde était toujours là, au bord du précipice. Elle ne courait pas. Elle regardait simplement en bas. Il n’y avait aucune peur dans son regard, seulement une étrange concentration, comme si elle attendait qu’ils comprennent.
« Peut-être… nous a-t-elle guidés ? » murmura l’un d’eux.
Le second renifla, mais sa voix trembla :
« Les renards ne sauvent pas les gens. Ils sont rusés, pas des saints. »
Et pourtant, une sorte de honte les envahit. Comme si le champ lui-même condamnait leur chasse, leur passion, leur aveuglement. Ils retirèrent les restes de la fosse : de vieilles chaussures, une poupée d’enfant sans tête, un pendentif en forme d’étoile de fer. Tout cela ressemblait moins à un crime qu’à un souvenir figé.
La neige se remit à tomber – de gros flocons, lentement, comme pour recouvrir les traces. Un des chasseurs dit à voix basse :
« Étrange, hein ? Nous étions venus tuer, et nous avons trouvé quelque chose qui nous rappelle que les vivants n’ont pas le droit de décider qui doit disparaître.»
Silence. Le renard avait disparu. Fondu dans le blanc, comme s’il n’avait jamais existé. Seules subsistaient des traces – menant de la fosse vers la forêt. Longues, claires, presque régulières. Ils marchaient côte à côte, et l’un d’eux crut reconnaître des empreintes de pieds humains.
Personne ne parla sur le chemin du retour. Les fusils furent baissés, et la neige effaçait déjà tout – leurs traces, celles du renard, même leur souffle. Une seule question les obsédait : pourquoi nous a-t-elle montré cela ?
Plus tard, de retour au village, un vieil homme raconta que pendant la guerre, ce champ avait servi de lieu d’exécution. On jetait les gens dans une fosse et on les recouvrait de neige. Et depuis lors, un renard roux vient ici chaque hiver, toujours seul et toujours silencieux.
Quiconque entendra un coup de feu ce jour-là ne pourra plus jamais appuyer sur la détente.
Et dans la forêt, si l’on tend l’oreille, on peut parfois encore entendre le crissement de la neige sous les pieds, comme si quelqu’un marchait à nos côtés, nous guidant vers la vérité enfouie sous un manteau blanc.
…Et maintenant, chaque fois que j’aperçois une tache rouge au loin, je ne lève pas mon arme. Je reste immobile. Et j’observe.
Car peut-être que ce n’est pas moi qui choisis la proie, mais le renard qui choisit qui mener à la vérité.