Un jour, j’ai entendu une phrase qui, au début, m’a semblé presque une plaisanterie :

« La Terre s’est offert un septième continent. »
J’ai souri… jusqu’au moment où j’ai vu la carte.

Entre la Californie et le Japon, il n’y avait pas de terre — seulement un tourbillon sombre, une masse mouvante de plastique, comme un ciel nocturne renversé qui serait tombé dans l’océan.
Un froid m’a traversé. Ce n’était pas une rumeur. C’était une blessure.

Plan rapproché : des filets, tordus comme des côtes brisées, frémissent sous la surface. Dans les profondeurs, ce ne sont pas des poissons qui passent, mais des objets — fragments de vies oubliées, souvenirs rejetés par un monde trop pressé pour regarder derrière lui.

Puis le silence.
Seulement le murmure tremblant des chercheurs :
— Sa superficie rivalise déjà avec celle de la Russie…

Et une pensée étrange m’a saisi, presque honteuse :
Pourquoi personne ne nous a prévenus que ce nouveau “continent” n’était peut-être pas un accident… mais un signe ?

Je me suis approché de l’écran, observant la forme mouvante de cette masse. Elle avait quelque chose d’organique, d’instable, comme si l’océan respirait à travers elle. On dit souvent en France que « la mer garde tout » — la mer ne pardonne pas, elle conserve.
Et là, elle conservait nos erreurs.

Imaginez : des millions de particules minuscules, broyées par les vagues, devenues si fines qu’elles se glissent dans le sel, dans l’eau de pluie, dans notre propre souffle.
Nous inhalons ce que nous avons jeté.
Nous portons en nous le fantôme de nos déchets.

Ironique, non ?
Nous, peuple du goût, des plaisirs, du bon pain et du bon vin…
Nous avalons désormais des miettes de civilisation, invisibles, indestructibles, presque cyniques dans leur silence.

Et pourtant — personne ne crie.
Comme si l’humanité avait perdu le réflexe de s’effrayer.

Ce continent… il ne gronde pas. Il ne brûle pas. Il ne lance aucune alerte rouge.
Il s’étend.
Lentement.
Insensiblement.
Comme une ombre sous un lampadaire, chaque nuit un peu plus longue que la veille.

À force de le regarder, j’ai eu l’impression étrange de voir un œil. Un immense œil rond fait de plastiques, de filets, de morceaux de jouets. Un œil qui nous observe, immobile, patient, presque juge.

Un chercheur a murmuré :
— Ce n’est pas une île morte… c’est un organisme en devenir.

Une phrase qu’on aurait pu balayer d’un rire nerveux. Pourtant quelque chose en moi n’a pas ri.
Quelque chose en moi a compris.

On ne peut plus dire : « Ce n’est pas notre problème. »
Parce que ce septième continent ne se contente plus de flotter au milieu d’un océan lointain.
Il entre dans notre nourriture.
Dans notre pluie.
Dans le corps d’un enfant qui n’a jamais vu la mer.

La honte silencieuse — la honte française, celle dont on ne parle qu’à voix basse — a désormais une géographie. Une forme. Une ombre.

Et alors m’est venue une question encore plus terrifiante :
Si nous avons créé un continent sans même nous en rendre compte… qu’allons-nous encore créer avant de disparaître ?

La mer ne parle jamais fort.
Mais aujourd’hui, elle murmure quelque chose que nous ferions bien d’écouter :

« Ce que vous avez laissé couler dans mon cœur réécrit déjà votre monde…
et ce texte-là, je ne peux pas l’effacer. »

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