Et puis, ce matin… tout a basculé.
Je reprends le même saucisson, je pose la lame dessus… et je sens immédiatement que quelque chose ne va pas. Le couteau glisse mal, comme s’il rencontrait une résistance inhabituelle. D’abord, je crois qu’il est trop froid. Mais au deuxième coup, la lame se bloque net.
Je me penche.
Et là, je vois une lueur.
Une lueur métallique, plantée dans la chair rose.
J’ai d’abord pensé à un morceau de machine tombé sur la chaîne de production. Un accident idiot. Mais quand j’écarte la masse du bout des doigts, mon ventre se resserre:

Il y avait une clé USB à l’intérieur.
Une clé USB ordinaire, quelques gigas.
Un frisson me traverse. J’en avais déjà mangé.
Mais la curiosité l’emporte sur la nausée.
J’allume l’ordinateur.
J’insère la clé.
Et ce qui apparaît sur l’écran…
Un fond noir. Pas de dossiers, pas de titres. Juste un silence étrange, presque respirant. J’allais retirer la clé quand un unique fichier surgit. Sans nom. Sans extension. Juste un rectangle blanc, immobile, comme une étiquette sur un tiroir de morgue.
Je l’ouvre.
Et ma gorge se serre immédiatement.
La vidéo commence par une image de ma cuisine.
Ma table.
Mon couteau.
Le saucisson, intact.
Je cligne des yeux, incapable d’y croire.
Puis une silhouette entre dans le champ.
Un homme.
Et avant même de voir son visage, je reconnais quelque chose d’insupportable :
ma démarche.
ma veste.
mes gestes.
C’était moi.
Mais un « moi » que je ne connaissais pas.
Sur la vidéo, j’ouvre le saucisson — pas pour en manger.
Non.
Je soulève délicatement le bord, glisse la clé USB dans la viande, referme le tout, puis remets le paquet dans le frigo. Un geste précis, presque habitué. Comme si je l’avais déjà fait cent fois.
Un froid me traverse la poitrine.
Impossible que ce soit un montage.
L’heure de l’enregistrement correspond. J’étais bien chez moi.
Alors pourquoi je n’en ai aucun souvenir ?
La vidéo saute.
Un nouveau plan.
Plus sombre, plus instable. La caméra semble cachée dans une poche. J’entends des pas. Une respiration. Puis… ma voix.
— Tout est prêt. Il trouvera. Il trouve toujours.
Je sens mes mains trembler.
Je n’ai jamais prononcé ces mots.
Puis une date apparaît en lettres blanches.
Demain.
Je retourne dans le dossier.
D’autres fichiers m’attendent.
Des dizaines.
Tous datés des jours… qui ne sont pas encore arrivés.
J’en ouvre un.
Des pleurs d’enfant.
Une pièce inconnue.
Et moi — tenant une paire de petites chaussures, le regard perdu comme si j’essayais de me rappeler quelque chose de trop douloureux pour être pensé.
Un texte s’affiche alors, comme gravé dans la lumière même de l’écran :
« ARRÊTE D’OUBLIER. »
Je sens une présence derrière moi.
Une impression glacée, sans bruit, sans mouvement.
Puis le dernier message apparaît :
« Demain, on remettra la clé dans le même saucisson.
Tu l’achèteras encore.
Tu oublieras encore.
Tu verras encore. »
Je ferme l’ordinateur d’un coup.
Je jette le saucisson, le couteau, l’emballage — tout ce qui me relie à cette nuit que je ne me rappelle pas.
Dix minutes plus tard, la sonnette retentit.
Je regarde dans l’œilleton.
Personne.
Seulement un sac de courses posé devant la porte.
Et à l’intérieur…
le même saucisson.