Les gémissements étouffés du vieil homme se mêlaient au brouillard humide, tandis que plusieurs brutes massives le piétinaient sans le moindre état d’âme.
— Alors, le vieux… où tu caches ton argent ? grogna celui qui portait une cicatrice traversant sa joue.
— On sait que tu n’es pas venu les poches vides. Parle.
Le vieillard tenta de protéger sa tête, mais la pluie de coups continuait, accompagnée de rires rauques.
Pour eux, ce n’était pas de la violence. C’était un divertissement.
Puis soudain, une voix féminine déchira l’air :
— Arrêtez.

Les hommes se figèrent et tournèrent la tête.
Une silhouette émergeait lentement du brouillard blanc.
Une femme. En uniforme militaire.
Grande, droite, le regard aussi fixe qu’une lame fraîchement sortie de l’acier.
Pendant une seconde, les bandits hésitèrent.
Puis leurs sourires avides revinrent, déformant leurs visages.
— Quelle surprise… murmura l’un.
— Une belle petite soldate perdue en pleine forêt… ajouta un autre avec une lenteur presque lubrique.
— Et toute seule, en plus. On peut t’offrir un peu de chaleur, tu sais.
Ils éclatèrent de rire.
Mais elle ne réagit pas. Pas même un battement de cil.
Elle se pencha simplement vers le vieil homme, prit son pouls avec une précision glaciale.
— Je t’ai parlé, non ? grogna le chef en lui attrapant le bras.
Elle releva la tête.
Dans ses yeux, aucune panique.
Seulement une tranquilité dérangeante.
— Retire ta main. Maintenant.
— Sinon quoi ? rit-il, d’un rire tendu qui sonnait faux.
Il voulut la tirer contre lui.
C’est à cet instant que tout bascula.
L’homme poussa un cri étranglé.
Sa main venait de se contracter violemment, comme traversée par un froid qui brûle.
Sur sa peau apparaissaient de fines lignes lumineuses, presque phosphorescentes.
— Mais… qu’est-ce que…?
La femme se redressa, sans un geste brusque.
— Je t’ai averti, dit-elle calmement.
Le vieil homme ouvrit alors les yeux.
Son regard ne reflétait ni la peur, ni la douleur.
Seulement la résignation douce de quelqu’un qui attendait ce moment depuis longtemps.
— Tu es venue… murmura-t-il.
— Il est temps, répondit-elle.
Ce n’est qu’à cet instant que les bandits remarquèrent un détail impossible :
Les bottes de la femme… ne touchaient pas le sol.
Le brouillard se lovait autour d’elle, comme s’il lui obéissait.
Le chef tituba, livide.
— T’es quoi, toi ? Une sorcière ?
Elle posa une main légère sur la poitrine du vieillard.
Un souffle pâle, presque immobile, comme un fragment d’âme libéré de toute attache, s’éleva entre ses doigts.
— Je prends son dernier souffle, dit-elle.
— Et vous… vous n’auriez jamais dû être témoins.
La forêt devint soudain trop silencieuse.
Pas un insecte, pas un oiseau.
Comme si la nuit avait dévoré le monde d’un seul coup.
Les bandits restaient figés, paralysés par un instinct primal : l’impression d’avoir touché à quelque chose qui dépasse l’idée même de vie et de mort.
La femme recula.
Le brouillard s’ouvrit pour elle, sombre, presque vivant.
— Sa route s’achève. Pas la vôtre… mais souvenez-vous : ce que vous avez vu aujourd’hui vous suivra plus loin que l’ombre.
Et en un battement d’air glacé, elle disparut dans la brume.
Il ne resta que le vieux corps immobile…
et la peur.
Celle qui vous attrape la gorge, longtemps après que la lumière s’est éteinte.