Ce genre d’appel n’annonce jamais rien de bon. J’ai regardé l’écran, le cœur déjà serré, avant de décrocher.
— Madame, excusez-moi pour l’heure tardive, murmura une voix tendue. Je suis le photographe du mariage de votre fils. Il y a… quelque chose de très étrange sur les photos. Vous devez absolument venir les voir. Et surtout — ne dites encore rien à votre fils. Pas avant d’avoir vu cela.
J’ai d’abord voulu croire à une erreur. Un fichier corrompu, un reflet, une ombre mal placée. Mais son silence entre les phrases, sa respiration saccadée… Ce n’était pas un homme qui doutait. C’était un homme qui avait peur de ce qu’il avait découvert.

Je me suis habillée sans réfléchir et j’ai pris la route. La ville dormait, figée sous les lampadaires blafards. J’avais l’impression d’avancer vers quelque chose d’irréversible.
Il m’attendait dans son studio. Dès que je suis entrée, il a verrouillé la porte derrière moi. Ce simple geste m’a glacée.
— Merci d’être venue, dit-il. Cela fait des semaines que je me demande si j’ai le droit de vous montrer ça. J’ai tout vérifié : les horodatages, les vidéos, les caméras autour de la salle.
Sur la table, des photos étaient étalées avec une précision presque clinique. Chacune portait l’heure exacte. Minute par minute.
— Avant de regarder, vous devez comprendre une chose, ajouta-t-il à voix basse. Ce n’est ni un accident ni un mauvais angle. Ce que j’ai trouvé change complètement l’histoire de cette nuit. Et peut-être l’avenir de votre famille.
La première image semblait normale. La danse. Les guirlandes lumineuses. Les invités souriants. Mon fils, ému, heureux, un peu maladroit dans son costume. À ses côtés, sa femme — belle, calme, presque trop parfaite. J’ai senti mes épaules se détendre.
— Ne regardez pas les mariés, murmura le photographe. Regardez derrière.
Et là, je l’ai vu.
Près du mur, entre deux colonnes, une silhouette masculine. Immobile. Dans l’ombre. Il ne souriait pas. Il ne regardait pas la piste de danse. Il fixait sa montre.
— Un serveur ? ai-je tenté, désespérément.
— Non. Aucun membre du personnel ne correspond. Il n’apparaît sur aucun planning. Sur les caméras d’entrée, il arrive… puis disparaît.
Photo suivante. Trois minutes plus tard. La même silhouette, plus proche. Toujours ce regard vers le poignet.
Encore une. Puis une autre. Toutes les deux ou trois minutes. Cet homme se déplaçait dans la salle comme s’il connaissait exactement les angles morts. Comme s’il savait où se trouvait l’objectif. Mais parfois, il arrivait trop tard d’une fraction de seconde.
Et alors, son visage apparaissait.
Mon sang s’est figé.
Je connaissais ce visage.
— Ce n’est pas possible… ai-je soufflé. Cet homme est mort.
Le photographe n’a pas répondu. Il a simplement agrandi une image. Nette. Sans ambiguïté.
L’homme que nous avions enterré cinq ans plus tôt.
— J’ai retrouvé des images du parking et d’un magasin voisin, dit-il après un long silence. Il est arrivé une heure avant la cérémonie. Et il est reparti exactement au moment où les mariés ont quitté la salle.
Dans ma tête, des détails oubliés se sont réveillés brutalement : la précipitation pour fixer la date, certains invités soigneusement écartés, la nervosité inexpliquée de la mariée. Tout formait désormais un tableau effrayant.
— Pourquoi ? ai-je demandé, la voix brisée.
— Parce que ce mariage n’était pas un commencement, répondit-il. C’était une fin.
Lorsque je suis sortie du studio, l’aube se levait. La ville s’éveillait, banale, indifférente. Et c’est cela qui m’a le plus terrifiée.
Car je savais, à cet instant précis, que plus rien ne serait jamais normal. Et que certaines photos n’auraient jamais dû être prises.