Il a surgi du coin de la rue, capuche sur la tête et un regard étrange. Une seringue à la main. La jeune fille a hurlé, a reculé et a laissé tomber son téléphone. La foule ne savait pas s’il s’agissait d’une plaisanterie ou d’une agression. Certains ont pris la fuite, d’autres se sont figés. Paris frissonnait. Mais la caméra continuait de filmer.

Ilan M., connu en ligne sous le pseudonyme d’Amin Mojito, cherchait à faire le buzz et a franchi la frontière entre « drôle » et « dangereux ». Ses vidéos ont cumulé des millions de vues – ce « j’aime » éphémère et addictif qui remplace la reconnaissance et le sens. Il arpentait les rues, faisant semblant d’injecter des substances aux passants avec une seringue vide, et riait tandis que d’autres tremblaient. Après tout, ce n’était qu’une blague, n’est-ce pas ?
Mais Paris vivait dans l’angoisse. Les rumeurs d’« injections dans les boîtes de nuit », d’agressions mystérieuses, de femmes terrorisées à l’idée de danser dans le noir, planaient encore. Ses farces, loin de susciter le rire, firent naître la peur. On ne riait plus ; on se croyait contaminé, et l’on pensait que tout était perdu. Plusieurs finirent à l’hôpital, non pas pour des blessures, mais en proie à la panique, à la psychose, les mains tremblantes.
À l’arrivée de la police, Ilan déclara : « J’ai simplement reproduit la vidéo que j’ai vue en Espagne. Ce n’est pas réel. » Et c’est dans cet aveu que réside tout le drame de l’époque. Il ne réfléchissait pas à ses actes. Il imitait. Comme si la morale n’était qu’un modèle adaptable, une sorte de texte à insérer sous la voix d’autrui. Il ne comprenait pas que pour certains, internet est une scène, et pour d’autres, la rue au pied de leur maison.
Au tribunal, la tête baissée, il affirma n’avoir voulu de mal à personne. Le juge l’écouta, mais ne lui accorda pas son pardon. Car derrière chaque « Je ne l’ai pas fait exprès » se cache le cauchemar de quelqu’un, le cri de quelqu’un dans le métro, la peur d’être pris en otage. « Vous avez semé la terreur », a déclaré le juge. Et il l’a condamné à douze mois de prison, dont six fermes. Le reste a été assorti d’un sursis. Mais un sursis peut-il vraiment rétablir la confiance ?
Pendant que les journalistes écrivaient sur « le premier influenceur condamné pour canulars », un autre était déjà en train de préparer une nouvelle caméra, de choisir un filtre, se demandant : « Et si je faisais quelque chose de similaire, mais à ma façon ? »
C’est une fausse piste. Car on a l’impression que la punition va servir de leçon, que la morale va retourner aux algorithmes. Mais les réseaux sociaux ne connaissent pas de mesure. Ils ne retiennent que le rythme : les vues, le choc, les rires, et encore plus de vues.
Parfois, il est effrayant de se demander : où s’arrête le jeu et où commence la réalité ? Quand la caméra s’éteint, qui est responsable de ce qui reste dans les esprits ? On parle de liberté de création, mais on reste muet sur la liberté face à la peur. Vivons-nous déjà dans un monde où le rire est une nouvelle forme de violence, lorsqu’il se fait aux dépens d’autrui ?
L’avocat a plaidé la clémence. Il a dit qu’il était jeune, qu’il n’avait pas réfléchi, qu’il avait simplement imité. Mais c’est précisément ce qui est effrayant : que l’insouciance devienne une excuse et l’imitation la norme. Il voulait être populaire, mais il est devenu un exemple. Non pas un exemple à imiter, mais un exemple qui met en garde : derrière chaque « contenu » se cachent des êtres humains.
Alors qu’on l’escortait hors du tribunal, il s’est tourné vers les journalistes, comme s’il attendait encore qu’on le filme.
Le monde s’est habitué à regarder. Le monde a oublié comment voir.
Et dans ce silence, où les « j’aime » résonnent plus fort que la conscience, une question se fait entendre, non pas pour lui, mais pour nous :
Que faut-il de plus pour que nous cessions de confondre attention et amour ?